Séquence 4 (Les Fleurs du Mal : Baudelaire et le "culte des images")

Cours destinés aux élèves de 1ES2 et de 1S1 du lycée Charles Deulin.

dimanche, juin 25, 2006

Parcours de lecture dans le Journal de Delacroix


p. 11: mercredi 31 mars 1824.
Delacroix énonce les règles de vie qui lui permettent de travailler dans de bonnes conditions. Il est alors au début de sa carrière artistique, s'étant fait remarquer deux ans auparavant au Salon de 1822 avec son Dante et Virgile aux Enfers. En 1824, il travaille aux Scènes de massacres de Scio pour son deuxième Salon. Malgré sa jeunesse, il se sent très éloigné des "prétendus artistes" qui n'ont aucune véritable hygiène de vie: ces (mauvais artistes) ont besoin de la "société des autres" et ne comrennent pas que la "solitude" est une condition nécessaire pour accomplir une oeuvre digne de ce nom. de même, il faut "vivre sobrement comme Platon".
D va encore plus loin sur le thème de la solitude en affirmant que de toute façon, on perd son temps à vouloir communiquer ses sentiments à autrui: "Quel que soit le plaisir de communiquer son émotion à un ami, il y a trop de nuances à s'expliquer".
D conclut en affirmant à nouveau "la nécessité de voir l'atelier seul et de vivre seul": cette "réforme" (c à d ce changement d'opinion et de comportement, puisque D, comme tous les peintres de son époque, a d'abord commencé par le travail en atelier, avec le peintre Guérin, chez qui il a travaillé auprès de Géricault), cette réforme, donc, est l'un des signes de la modernité de D, qui prône un travail individuel, voire individualiste, où seuls comptent le tempérament, l'imagination, l'énergie, la puissance créatrice et, ne l'oublions pas, la technique d'un seul homme, maître de son oeuvre, et qui n'est pas prêt à la partager avec qui que ce soit. En ce sens, D est effectivement moderne et romantique (puisque le romantisme s'explique souvent par le développement du culte du moi, dans tous les arts). On peut opposer ce point de vue au travail que nous avons pu observer chez Rubens (l'un des "phares" de Baudelaire, et aussi l'un des maîtres absolus de D), qui travaillait en atelier, et qui a produit des milliers de tableaux répandus dans les cours, les cathédrales et les églises de toute l'Europe.

p. 13: dimanche 11 avril 1824.
D y parle de son imagination, notion essentielle chez lui et aussi chez Baudelaire, qui parle quant à lui d'une "imagination créatrice". Cela fait bien sûr penser à ce que nous appelons inspiration, mais B et D n'emploient pas souvent ce terme.
D évoque ses frustrations, non qu'il manque d'imagination... au contraire, il est sujet à une imagination débordante qu'il n'arrive pas à canaliser: Le problème est que s'il attend trop longtemps avant de traduire sur une toile ce qu'il a imaginé, il perdra l'énergie créative du moment même où il a conçu mentalement le tableau. Le peintre paraît ainsi complètement dépassé par son imagination. On comprend dès lors pourquoi B parle du génie de D.

p. 19: 29 janvier 1832.
Ces pages permettent de comprendre l'intérêt de D pour l'exotisme, à travers sa vision de l'Afrique du Nord. La description qu'il en fait nous fait rentrer dans l'esprit du peintre, qui décrit les paysages et les scènes comme s'il avait déjà sous les yeux un tableau: il parle des "taches d'herbes brunes sur le sable", des "contrastes" de couleurs, des "scènes de chevaux qui se battent" (D aime particulièrement peindre les chevaux, tout comme Géricault, cf. le cheval cabré dans La Mort de Sardanapale, ou dans les Scènes de massacres de Scio).

p. 55 : 4 avril 1854.
D entreprend ici de comparer la peinture aux autres arts. Il affirme la supériorité de la peinture, qui peut présenter des idées, « peindre qqch à l’esprit » même quand l’œuvre est inachevée, même sous forme d’ébauche d’esquisse, alors qu’en littérature ou en musique, il faut que le travail soit accompli pour qu’il prenne tout son sens (la raison en est que ces deux formes d’art ne développent les idées que « successivement »).
Ainsi, on pourra se souvenir de l’esquisse de La Mort de Sardanapale (cf. image ci-dessus), qui ne présente la scène que grossièrement, mais qui exprime déjà toute l’horreur et la sensualité mêlées (cf. Eros et Thanatos) de cette scène de massacre.
Delacroix est non seulement un grand artiste, mais aussi un vrai critique dont les jugements précis et réfléchis témoignent d'un tempérament proche de celui de Baudelaire, qui considérait qu'un artiste digne de ce nom devait aussi être un critique exigeant (ce qu'il était lui-même).