Texte 4 : "A UNE MENDIANTE ROUSSE", pp. 128-130
Émile DEROY (Paris, 1820 - Paris, 1846), La petite mendiante rousse (vers 1843 - 1845). Tableau de petit format (H. : 0,46 m. ; L. : 0,38 m).
Ce portrait prestement brossé représente une petite chanteuse des rues qui se produisait à Paris dans les cafés des Champs-Élysées. Sa chevelure rousse et sa silhouette gracile inspirèrent aussi Théodore de Banville et Baudelaire, lequel lui consacra un poème des Fleurs du Mal.
Au même titre que « Les sept vieillards », « Les petites vieilles » ou encore « A une passante », « A une mendiante rousse » s’insère dans la section des Fleurs du Mal intitulée « Tableaux parisiens ». En fait de tableau, il s’agit en l’occurrence du portrait d’une jeune fille qu’a fréquenté Baudelaire dans les années 1840-1845. Contrairement à la célèbre « passante », la « mendiante rousse » est toute déguenillée, conformément à la situation du personnage réel qui a inspiré le poète.
Problématique :
Ce texte étant un poème de jeunesse, écrit à une époque où Baudelaire était en train d’acquérir une culture classique par la lecture d’auteurs des siècles passés, on pourra se demander s’il s’agit d’un poème moderne, d’autant que l’auteur s’appuie explicitement sur des modèles littéraires de la Renaissance et du XVIIe siècle.
I – Un pastiche plein d’archaïsmes : le jeu avec la tradition poétique
A – Les références à la Renaissance
Référence historique : les Valois dans la strophe 12 : allusion à la famille royale, symbole de gloire (cf. dédicace des Antiquités de Rome de Du Bellay au roi Henri II par ex.), de puissance politique et militaire, mais aussi de raffinement artistique (goût pour les arts : François Ier fait travailler des artistes italiens en France) et amoureux… (la strophe citée y fait clairement allusion, avec les « baisers », la rime « lits » / « lis »… cf. importance de la poésie amoureuse à la Renaissance, sur le modèle du Canzoniere de Pétrarque).
La « poète chétif » (v. 5) peut faire écho à un auteur comme Du Bellay, qui emploie souvent cet adjectif pour parler de lui-même dans les Regrets. Or, Baudelaire lit justement les poètes de la Pléiade dans les années 1840 (sur les recommandations du critique Sainte-Beuve, qui remet « au goût du jour » les poètes de la Renaissance).
En outre, la langue elle-même est volontiers archaïque dans certains vers : des mots comme « valetaille » et « déduit » paraissent décalés (« déduit » est déjà archaïque à la Renaissance : c’est de l’ancien français). La forme verbale [aller + participe présent] (vers 45 et 49), qui indique une action « en train de se faire », est elle-même archaïque. On pourrait aussi parler de la rime « mutins » / « lutins », qui paraît désuète, décalée chez Baudelaire. Enfin, l’ancien verbe « gueuser » signifie « mendier ».
B – L’éloge paradoxal de la gueuse
Le locuteur fait l’éloge d’une mendiante puisqu’il parle de sa « beauté » tout en soulignant son dénuement et sa pauvreté (première et dernière strophes) : c’est ce que l’on appelle un éloge paradoxal (noter la rime aux vers 3 et 4). Ce procédé pourrait paraître moderne… s’il n’avait déjà été utilisé deux siècles auparavant par des poètes baroques. Tristan L’Hermite a laissé un sonnet connu s’intitulant « La belle gueuse » :
Ô que d'appas en ce visage
Problématique :
Ce texte étant un poème de jeunesse, écrit à une époque où Baudelaire était en train d’acquérir une culture classique par la lecture d’auteurs des siècles passés, on pourra se demander s’il s’agit d’un poème moderne, d’autant que l’auteur s’appuie explicitement sur des modèles littéraires de la Renaissance et du XVIIe siècle.
I – Un pastiche plein d’archaïsmes : le jeu avec la tradition poétique
A – Les références à la Renaissance
Référence historique : les Valois dans la strophe 12 : allusion à la famille royale, symbole de gloire (cf. dédicace des Antiquités de Rome de Du Bellay au roi Henri II par ex.), de puissance politique et militaire, mais aussi de raffinement artistique (goût pour les arts : François Ier fait travailler des artistes italiens en France) et amoureux… (la strophe citée y fait clairement allusion, avec les « baisers », la rime « lits » / « lis »… cf. importance de la poésie amoureuse à la Renaissance, sur le modèle du Canzoniere de Pétrarque).
La « poète chétif » (v. 5) peut faire écho à un auteur comme Du Bellay, qui emploie souvent cet adjectif pour parler de lui-même dans les Regrets. Or, Baudelaire lit justement les poètes de la Pléiade dans les années 1840 (sur les recommandations du critique Sainte-Beuve, qui remet « au goût du jour » les poètes de la Renaissance).
En outre, la langue elle-même est volontiers archaïque dans certains vers : des mots comme « valetaille » et « déduit » paraissent décalés (« déduit » est déjà archaïque à la Renaissance : c’est de l’ancien français). La forme verbale [aller + participe présent] (vers 45 et 49), qui indique une action « en train de se faire », est elle-même archaïque. On pourrait aussi parler de la rime « mutins » / « lutins », qui paraît désuète, décalée chez Baudelaire. Enfin, l’ancien verbe « gueuser » signifie « mendier ».
B – L’éloge paradoxal de la gueuse
Le locuteur fait l’éloge d’une mendiante puisqu’il parle de sa « beauté » tout en soulignant son dénuement et sa pauvreté (première et dernière strophes) : c’est ce que l’on appelle un éloge paradoxal (noter la rime aux vers 3 et 4). Ce procédé pourrait paraître moderne… s’il n’avait déjà été utilisé deux siècles auparavant par des poètes baroques. Tristan L’Hermite a laissé un sonnet connu s’intitulant « La belle gueuse » :
Ô que d'appas en ce visage
Plein de jeunesse et de beauté,
Qui semble trahir son langage
Et démentir sa pauvreté !
Ce rare honneur des orphelines,
Ce rare honneur des orphelines,
Couvert de ces mauvais habits,
Nous découvre des perles fines
Dans une boîte de rubis.
Ses yeux sont des saphirs qui brillent,
Ses yeux sont des saphirs qui brillent,
Et ses cheveux qui s'éparpillent
Font montre d'un riche trésor.
À quoi bon sa triste requête,
À quoi bon sa triste requête,
Si pour faire pleuvoir de l'or,
Elle n'a qu'à baisser la tête !
Il paraît donc évident que le texte de Baudelaire est au moins en partie un pastiche du sonnet de L’Hermite (cf. la même rime « beauté » / « pauvreté », la description des habits, ou les allusions à l’or, à aux pierres précieuses, à l’aspect brillant…).
— A vous de relever tout le vocabulaire de la beauté et de la pauvreté dans le poème…
C – Un modèle contemporain : Gautier
Baudelaire s’inspire donc d’auteurs de la Renaissance et du XVIIe siècle, mais il est avant tout un grand lecteur des poètes contemporains, parmi lesquels Hugo (à qui il dédie « Le cygne » dans les « Tableaux parisiens » — juste après la « Mendiante rousse ») et Gautier, à qui il dédie ses « fleurs maladives » de manière très grandiloquente (cf. p. 53). Or, la forme de la « Mendiante rousse » ressemble étrangement à celle de « L’art » de Gautier : 14 quatrains constitués de vers courts et irréguliers… Même si le poème de Gautier paraît en 1852 dans le recueil Emaux et Camées, on peut se demander si Baudelaire n’en a pas eu connaissance auparavant.
Quel serait l’intérêt de ce rapprochement entre les deux poètes ?
Gautier, poète parnassien, théoricien de l’Art pour l’art, préconise une rigueur dans le travail poétique, qui n’autorise aucune liberté : le poète s’impose des contraintes formelles strictes et travaille les mots comme le ferait un sculpteur taillant le marbre (cf. texte complémentaire). Ainsi, Baudelaire choisit une forme complexe : strophes composées d’heptamètres et de vers de quatre syllabes (retour très fréquent de la rime, les vers étant particulièrement courts, d’où une matière sonore très dense : musicalité du poème — donner qqs ex.).
II – Une muse typiquement baudelairienne
A – Une « muse malade »
Cf. sonnets VII et VIII dans « Spleen et idéal », pp. 65-66.
« Fleurs maladives », « muse malade », « jeune corps maladif » (vers 6, en harmonie avec un « poète chétif »)… « poète […] débraillé, maladif » dans « Le Tasse en prison »… La maladie est bel et bien une thématique baudelairienne récurrente. Chez Du Bellay, la muse s’enfuit du poète, elle lui devient étrangère (sonnet 6, p. 77 dans votre édition des Regrets : « Et les muses de moi, comme étranges, s’enfuient ») ; chez Baudelaire, une étape supplémentaire est franchie, avec des muses malades et vénales.
— Allusions à la relation charnelle dans le poème (éléments physiques évoquant la séduction, sous-entendus, etc.) : faites un relevé. Par ex., les vers 22-23 qui associe les « péchés » (le mal) aux « beaux seins, radieux / Comme des yeux » de la mendiante — on se souvient aussi de l’importance des yeux dans la poésie baudelairienne, cf. « Une martyre »).
Evidemment, on pourrait aussi parler des connotations de la rousseur (symbolise le diable…).
B – De l’être de chair à l’être imaginaire
A l’origine du poème : une jeune fille bien réelle, qui inspiré d’autres artistes, comme Emile Deroy (cf. tableau ci-dessus), Banville, ou Pierre Dupont (eh oui, c’est un poète — médiocre — ami de Baudelaire) qui a écrit « La joueuse de guitare » en référence à la même jeune fille.
Cependant, par les échos que cette mendiante rousse suscite dans l’ensemble du recueil, il paraît évident que l’intérêt du poème n’est pas simplement de rendre hommage à une personne qui a marqué des jeunes artistes fréquentant des lieux peu recommandés (cf. cadre urbain avec l'allusion ironique de la strophe 12)… Ainsi, l’être de chair (rappelons l’omniprésence de la sensualité et du registre érotique dans ce poème) devient, par l’écriture poétique, un être imaginaire, une « muse malade », en quelque sorte recréée par la volonté du poète (poète « chétif », mais néanmoins poète et véritable créateur). La créature prend forme dans le texte (cf. fin du commentaire de « Une martyre » : l’articulation créateur/créature) grâce à la volonté du poète, c’est-à-dire la puissance de son imagination. Les notions de « volonté » et d’« imagination » sont fondamentales dans l’esthétique baudelairienne : elles sont caractéristiques de ce qu’il appelle le génie et le tempérament (cf. texte compl. à ce sujet). Or, dans le premier poème des « Tableaux parisiens », « Paysage », le poète évoque justement sa « volonté » qui lui permet de créer tout un monde, alors même qu’il se trouve dans sa chambre, les volets fermés, sans regard sur le monde extérieur : de la même façon, la « mendiante rousse » est le fruit de « l’imagination créatrice » (expression que Baudelaire emploie dans ses Essais critiques) du poète.
Grâce à cela, on peut comprendre certaines tournures syntaxiques du poème, qui paraissent étranges : « Au lieu de… », « En place de… » (vers 13 et 17) indiquent que le poète substitue ce qu’il imagine à la réalité. Ensuite, il commence les strophes 6 et 7 par des subjonctifs à valeur injonctive : « Que des nœuds mal attachés / Dévoilent… », « Que pour te déshabiller / Tes bras se fassent prier… » (c’est bien l’expression de la volonté). C’est bien dans ces passages que le personnage réel devient personnage fictif, qui n’a d’existence que poétique…
C – La mendiante : une image de l’imperfection du poème baudelairien
La poésie de Baudelaire, d’une manière générale, est à l’image de cette mendiante : imparfaite, étrange, bancale, et belle à la fois. C’est dans ce paradoxe que l’on peut appréhender la modernité de Baudelaire, modernité qui s’affirme dès ces années de formation (rappelons que Baudelaire a une vingtaine d’années quand il rédige le poème).
On a déjà parlé des rapports entre Baudelaire et Gautier… Gautier emploie l’image du « cothurne étroit », qui renvoie aux contraintes formelles du poème… Cf. vers 11 dans « A une mendiante rousse ». Or Baudelaire préfère les « sabots » aux « cothurnes », c’est-à-dire, si l’on pense aux connotations, la lourdeur au raffinement. Dès lors, on peut se demander s’il ne parodie pas Gautier. Cela paraîtrait contradictoire, étant donné la dédicace des FDM, mais Baudelaire entretient toujours des rapports ambigus avec ses « maîtres » (il en est de même en ce qui concerne ses relations avec Hugo).
Ainsi, Baudelaire choisit certes une forme poétique contraignante, mais les contraintes qu’il s’impose ne rendent pas le poème beau au sens classique : c’est une beauté étrange, associée à la maladie, à des défauts que certains pourraient trouver repoussant (Cf., dans les Essais critiques : "Le beau a toujours quelque chose de bizarre"). A l’image des sabots, le poème de Baudelaire avance de manière quelque peu chaotique, maladroite (cf. association des vers pairs et impairs, utilisation de rimes uniquement masculines dans un poème qui fait l’éloge d’une femme qui imposerait plutôt des rimes féminines, plus douces).
Il paraît donc évident que le texte de Baudelaire est au moins en partie un pastiche du sonnet de L’Hermite (cf. la même rime « beauté » / « pauvreté », la description des habits, ou les allusions à l’or, à aux pierres précieuses, à l’aspect brillant…).
— A vous de relever tout le vocabulaire de la beauté et de la pauvreté dans le poème…
C – Un modèle contemporain : Gautier
Baudelaire s’inspire donc d’auteurs de la Renaissance et du XVIIe siècle, mais il est avant tout un grand lecteur des poètes contemporains, parmi lesquels Hugo (à qui il dédie « Le cygne » dans les « Tableaux parisiens » — juste après la « Mendiante rousse ») et Gautier, à qui il dédie ses « fleurs maladives » de manière très grandiloquente (cf. p. 53). Or, la forme de la « Mendiante rousse » ressemble étrangement à celle de « L’art » de Gautier : 14 quatrains constitués de vers courts et irréguliers… Même si le poème de Gautier paraît en 1852 dans le recueil Emaux et Camées, on peut se demander si Baudelaire n’en a pas eu connaissance auparavant.
Quel serait l’intérêt de ce rapprochement entre les deux poètes ?
Gautier, poète parnassien, théoricien de l’Art pour l’art, préconise une rigueur dans le travail poétique, qui n’autorise aucune liberté : le poète s’impose des contraintes formelles strictes et travaille les mots comme le ferait un sculpteur taillant le marbre (cf. texte complémentaire). Ainsi, Baudelaire choisit une forme complexe : strophes composées d’heptamètres et de vers de quatre syllabes (retour très fréquent de la rime, les vers étant particulièrement courts, d’où une matière sonore très dense : musicalité du poème — donner qqs ex.).
II – Une muse typiquement baudelairienne
A – Une « muse malade »
Cf. sonnets VII et VIII dans « Spleen et idéal », pp. 65-66.
« Fleurs maladives », « muse malade », « jeune corps maladif » (vers 6, en harmonie avec un « poète chétif »)… « poète […] débraillé, maladif » dans « Le Tasse en prison »… La maladie est bel et bien une thématique baudelairienne récurrente. Chez Du Bellay, la muse s’enfuit du poète, elle lui devient étrangère (sonnet 6, p. 77 dans votre édition des Regrets : « Et les muses de moi, comme étranges, s’enfuient ») ; chez Baudelaire, une étape supplémentaire est franchie, avec des muses malades et vénales.
— Allusions à la relation charnelle dans le poème (éléments physiques évoquant la séduction, sous-entendus, etc.) : faites un relevé. Par ex., les vers 22-23 qui associe les « péchés » (le mal) aux « beaux seins, radieux / Comme des yeux » de la mendiante — on se souvient aussi de l’importance des yeux dans la poésie baudelairienne, cf. « Une martyre »).
Evidemment, on pourrait aussi parler des connotations de la rousseur (symbolise le diable…).
B – De l’être de chair à l’être imaginaire
A l’origine du poème : une jeune fille bien réelle, qui inspiré d’autres artistes, comme Emile Deroy (cf. tableau ci-dessus), Banville, ou Pierre Dupont (eh oui, c’est un poète — médiocre — ami de Baudelaire) qui a écrit « La joueuse de guitare » en référence à la même jeune fille.
Cependant, par les échos que cette mendiante rousse suscite dans l’ensemble du recueil, il paraît évident que l’intérêt du poème n’est pas simplement de rendre hommage à une personne qui a marqué des jeunes artistes fréquentant des lieux peu recommandés (cf. cadre urbain avec l'allusion ironique de la strophe 12)… Ainsi, l’être de chair (rappelons l’omniprésence de la sensualité et du registre érotique dans ce poème) devient, par l’écriture poétique, un être imaginaire, une « muse malade », en quelque sorte recréée par la volonté du poète (poète « chétif », mais néanmoins poète et véritable créateur). La créature prend forme dans le texte (cf. fin du commentaire de « Une martyre » : l’articulation créateur/créature) grâce à la volonté du poète, c’est-à-dire la puissance de son imagination. Les notions de « volonté » et d’« imagination » sont fondamentales dans l’esthétique baudelairienne : elles sont caractéristiques de ce qu’il appelle le génie et le tempérament (cf. texte compl. à ce sujet). Or, dans le premier poème des « Tableaux parisiens », « Paysage », le poète évoque justement sa « volonté » qui lui permet de créer tout un monde, alors même qu’il se trouve dans sa chambre, les volets fermés, sans regard sur le monde extérieur : de la même façon, la « mendiante rousse » est le fruit de « l’imagination créatrice » (expression que Baudelaire emploie dans ses Essais critiques) du poète.
Grâce à cela, on peut comprendre certaines tournures syntaxiques du poème, qui paraissent étranges : « Au lieu de… », « En place de… » (vers 13 et 17) indiquent que le poète substitue ce qu’il imagine à la réalité. Ensuite, il commence les strophes 6 et 7 par des subjonctifs à valeur injonctive : « Que des nœuds mal attachés / Dévoilent… », « Que pour te déshabiller / Tes bras se fassent prier… » (c’est bien l’expression de la volonté). C’est bien dans ces passages que le personnage réel devient personnage fictif, qui n’a d’existence que poétique…
C – La mendiante : une image de l’imperfection du poème baudelairien
La poésie de Baudelaire, d’une manière générale, est à l’image de cette mendiante : imparfaite, étrange, bancale, et belle à la fois. C’est dans ce paradoxe que l’on peut appréhender la modernité de Baudelaire, modernité qui s’affirme dès ces années de formation (rappelons que Baudelaire a une vingtaine d’années quand il rédige le poème).
On a déjà parlé des rapports entre Baudelaire et Gautier… Gautier emploie l’image du « cothurne étroit », qui renvoie aux contraintes formelles du poème… Cf. vers 11 dans « A une mendiante rousse ». Or Baudelaire préfère les « sabots » aux « cothurnes », c’est-à-dire, si l’on pense aux connotations, la lourdeur au raffinement. Dès lors, on peut se demander s’il ne parodie pas Gautier. Cela paraîtrait contradictoire, étant donné la dédicace des FDM, mais Baudelaire entretient toujours des rapports ambigus avec ses « maîtres » (il en est de même en ce qui concerne ses relations avec Hugo).
Ainsi, Baudelaire choisit certes une forme poétique contraignante, mais les contraintes qu’il s’impose ne rendent pas le poème beau au sens classique : c’est une beauté étrange, associée à la maladie, à des défauts que certains pourraient trouver repoussant (Cf., dans les Essais critiques : "Le beau a toujours quelque chose de bizarre"). A l’image des sabots, le poème de Baudelaire avance de manière quelque peu chaotique, maladroite (cf. association des vers pairs et impairs, utilisation de rimes uniquement masculines dans un poème qui fait l’éloge d’une femme qui imposerait plutôt des rimes féminines, plus douces).
Enfin, le poète est à l'image de son oeuvre : il n'a plus la noblesse des Anciens et traite la jeune fille avec désinvolture (strophe 13).